« Je suis une personne qui vit avec l’Alzheimer. J’ai des droits. » Deuxième partie.
Deuxième partie : Comprendre les maladies cognitives d’un point de vue des droits humains.
Ce blogue se base sur le webinaire, Je suis une personne qui vit avec l’Alzheimer. J’ai des droits organisé par brainXchange et présenté par Phyllis Fehr, le 13 décembre 2017 (première partie) et le 17 janvier 2018 (deuxième partie).
Lorsque nous avons quitté Phyllis Fehr la dernière fois, nous avons appris comment ses expériences l’avaient inspirée à endosser son rôle actuel en tant que défenseure importante des droits humains des personnes vivant avec une maladie cognitive. (Si ce n’est pas encore fait, assurez-vous de lire la première partie de cette série, Devenir un moteur du changement. L’histoire de Phyllis Fehr.)
L’une des priorités actuelles de Phyllis est la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il s’agit d’un traité international adopté aux Nations Unies il y a presque dix ans. Pourquoi cette convention est-elle importante pour les personnes vivant avec une maladie cognitive et les professionnels des soins de santé? Parmi les 50 articles relatifs aux droits humains qui composent ce traité, Phyllis en identifie sept qui peuvent aider à améliorer votre vie au quotidien.
« Les personnes vivant avec une maladie cognitive ne sont pas souvent prises en compte pour rendre la société plus accessible, déclare Phyllis. L’objectif de la Convention est de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales des personnes handicapées et d’encourager le respect de leur dignité inhérente. »
En tant que personne vivant avec une maladie cognitive, connaissez-vous vos droits? En tant que professionnel de la santé, comment pouvez-vous vous assurer que les droits de la personne dont vous vous occupez sont adéquatement respectés (en supposant qu’ils soient respectés en premier lieu)?
Sur base de ses expériences personnelles, voici les sept recommandations de Phyllis qui vous aideront à améliorer votre qualité de vie ou à être plus inclusif et respectueux à l’égard des personnes vivant avec une maladie cognitive.
Article 9 – Accessibilité
Vous souvenez-vous de l’expérience de Phyllis à l’épicerie, dans la première partie? Incapable de se souvenir pourquoi elle était là, s’orienter dans le magasin lui a semblé difficile. S’il y avait eu plus d’indications, elle aurait pu s’orienter plus facilement. L’expérience de Phyllis est bien connue des personnes vivant avec une maladie cognitive : sortir de chez soi devrait être une activité normale, mais la personne court toujours le risque de se perdre et d’être désorientée dans un espace public.
Pensez aux indications pour les toilettes publiques. Au lieu de placer la pancarte sur la porte, placez-la au-dessus en la faisant ressortir de manière à ce qu’elle soit bien visible. Sinon, la personne qui cherche les toilettes pourrait avoir à demander de l’aide inutilement, ce qui entretient sa dépendance plutôt que son indépendance. Comme l’indique Phyllis, « Si vous avez une maladie cognitive, vous ne voudrez pas sortir de peur de devoir chercher les toilettes. »
Voici un autre exemple : les services de transport en commun accessibles aux personnes handicapées, comme le HandyDART à Vancouver ou WheelTrans à Toronto, ne sont pas toujours accessibles, comme leur nom l’indique. En effet, les conditions à remplir pour pouvoir les utiliser comprennent souvent celle de ne pas pouvoir parcourir une certaine distance à pied. Cette condition exclut de fait les personnes atteintes d’une maladie cognitive à début précoce. Malgré le fait qu’elles peuvent se déplacer, elles courent toujours le risque de se perdre en marchant quelques pâtés de maisons pour prendre le bus.
Mais même les personnes qui se qualifient pour utiliser les services de transport « porte à porte » ne sont pas à l’abri d’autres problèmes. Phyllis aime donner l’exemple du rendez-vous chez le médecin; si ce rendez-vous a lieu à l’hôpital, la personne sera débarquée à l’entrée de l’hôpital. Mais elle pourrait encore se perdre en se rendant à la salle d’attente, ou ne pas se souvenir des instructions qui lui ont été données pour trouver son chemin.
Si vous utilisez les transports en commun accessibles aux personnes handicapées, ou si vous savez qu’une personne utilisera ce service, assurez-vous que quelqu’un soit présent là où elle sera débarquée pour l’aider à se rendre à sa destination finale. Un environnement accessible permet à une personne vivant avec une maladie cognitive de vivre de manière aussi indépendante que possible et de participer pleinement à tous les aspects de la vie.
Article 19 – Autonomie de vie et inclusion dans la société
Concernant l’autonomie, l’Article 19 reconnaît le droit dont jouit une personne handicapée à vivre de manière autonome. Simultanément, la personne a le droit de participer pleinement et de manière inclusive à la vie de sa communauté et disposer des mêmes choix que ses voisins.
Phyllis se souvient de ses grands-parents qui ont fréquenté l’église pendant des années à tel point qu’une place non officielle leur était réservée dans l’assemblée des fidèles. Son grand-père qui était en fauteuil roulant se faisait toujours aider pour entrer et sortir de l’assemblée. Cependant, avec le temps, la place de sa grand-mère qui était atteinte d’une maladie cognitive a progressivement été occupée par d’autres personnes. À la fin, elle s’est retrouvée sur le côté pour terminer au fond de l’église, où personne ne lui prêtait attention.
Phyllis songe aussi à sa mère atteinte d’une maladie cognitive qui vit actuellement dans un établissement de soins. Quand Phyllis lui rend visite, elles sortent, jouent au bingo, ou aux quilles. Cependant, sa mère ne participe jamais aux activités organisées par l’établissement.
« Au départ, elle a été incluse dans les programmes, mais il n’a pas fallu longtemps avant qu’on ne la laisse seule dans sa chambre, ou assise sur une chaise dans les parties communes, à regarder par la fenêtre, déclare Phyllis. Est-ce que c’est ça l’inclusion dans la communauté? »
La mère et la grand-mère de Phyllis se sont vues refuser leur droit d’être sur le même pied d’égalité que les autres membres de la communauté, car les gens ont supposé une incapacité compte tenu de leur maladie cognitive.
Article 21 – Liberté d’expression et d’opinion et accès à l’information et Article 30 – Participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports
Ces articles traitent du droit aux loisirs personnels : les passe-temps, les passions et les compétences. La capacité à apprendre quelque chose de nouveau est souvent tenue pour acquise. Pour une personne vivant avec une maladie cognitive, cette capacité peut malheureusement être complètement ignorée.
La mère de Phyllis n’était pas invitée aux soirées bingo dans son établissement de soins, même si elle adorait y jouer. L’un de ses passe-temps préférés était de lire le journal, mais les membres du personnel ne lui ont jamais proposé de journal.
« Ils avaient déjà décidé à sa place : puisqu’elle a une maladie cognitive, elle n’a pas besoin de lire », déclare Phyllis.
Heureusement, la technologie facilite les choses et permet aux personnes comme la mère de Phyllis d’exercer leur droit de poursuivre leurs intérêts. Grâce à sa tablette, sa mère peut écouter son livre audio préféré ou jouer la musique qu’elle aime. De plus, stimuler son cerveau l’aidera à rester active plus longtemps et lui permettra de s’impliquer davantage dans la communauté.
Article 22 – Respect de la vie privée
Le jour où la mère de Phyllis a reçu son diagnostic, on lui a demandé de se faire accompagner par un membre de sa famille. Ayant choisi de se faire accompagner par son mari, le couple a reçu la nouvelle en même temps. Bien que Phyllis fût préparée et accepta le diagnostic, son mari était plus désemparé. Pour empirer les choses, le médecin ne parlait pas directement à Phyllis, mais à son mari.
« Bien qu’à ce moment, j’avais accepté la situation, car “c’est comme ça que ça se passe,” je trouve maintenant cette pratique troublante, explique Phyllis. Bien que ce soit compréhensible, il faut se demander pourquoi on vous enlève votre droit à la vie privée, alors qu’on est encore capable de gérer la situation soi-même. »
En effet, si l’on est atteint d’une maladie cognitive, on a peut-être l’habitude que notre droit à la vie privée soit compromis. Dans de nombreux établissements de soins de longue durée par exemple, quatre résidents occupent une même chambre. Aussi, chaque parole prononcée est entendue. Comment cette situation peut-elle répondre à une attente raisonnable en matière de vie privée?
Article 25 – La santé et Article 26 – Adaptation et réadaptation
Le diagnostic de Phyllis a marqué le début d’un nouveau chapitre dans sa vie; il a aussi marqué la clôture d’un autre : quatre années d’orientations pour trouver la réponse à ses problèmes. Malgré les rendez-vous à répétition avec son médecin de famille, Phyllis n’a jamais été aiguillée vers un spécialiste.
En tant que personne vivant avec une maladie cognitive, on vous a peut-être dit, avant de recevoir votre diagnostic, que les problèmes que vous viviez étaient liés à autre chose… un autre problème lié à l’âge. Au lieu de recevoir un diagnostic précoce et précis, on vous a tenu dans l’ignorance.
« Vous avez le droit de jouir de services de santé de la meilleure qualité possible sans discrimination fondée sur le fait d’être atteint d’une maladie cognitive, indique Phyllis. Impliquer la personne est une solution plus positive et défendable que de la repousser. »
Un autre problème auquel font face les personnes vivant avec une maladie cognitive est le manque de soins immédiats.
« Lorsqu’une personne est victime d’un AVC, on lui propose automatiquement des services de réadaptation, comme la physiothérapie, l’ergothérapie et l’orthophonie-logopédie, explique Phyllis. Si une personne reçoit un diagnostic de maladie cognitive, elle ne reçoit rien au départ, jusqu’au moment où commence son déclin… en supposant qu’on lui propose une thérapie en premier lieu! »
Et que se passe-t-il lorsqu’une personne ne peut plus parler ou ne peut plus se lever? Elle fait peut-être un AVC! En tant que professionnel de la santé, faites attention de ne pas attribuer erronément ces symptômes à une maladie cognitive. Ironiquement, on n’offre pas le même niveau de réadaptation si une personne atteinte d’une maladie cognitive est victime d’une attaque, comme un AVC.
Lorsque les besoins des personnes vivant avec une maladie cognitive ne sont pas comblés, elles sont incapables de maintenir leur indépendance physique, mentale et sociale. Les aidants et les professionnels des soins de santé doivent être en mesure de faire la différence entre les symptômes et de réagir adéquatement.
« Et si vous êtes proactif, ajoute Phyllis, vous pouvez éviter les problèmes qu’elles affrontent, comme la perte d’activité physique et de socialisation. »
Résumé
Si vous êtes une personne vivant avec une maladie cognitive, vous : | Si vous êtes un professionnel des soins de santé, songez aux points suivants lorsque vous vous occupez d’une personne vivant avec une maladie cognitive : |
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Avez le droit de vivre dans un environnement facilement accessible. | Comment pouvez-vous améliorer l’accessibilité de votre établissement ou organisme de soins de longue durée? C’est une solution rapide qui permet de faciliter la vie des personnes vivant avec une maladie cognitive et de respecter leur dignité. |
Avez le droit de vivre de manière indépendante et de participer pleinement à la vie d’une communauté dans laquelle votre voix se fait entendre, mais aussi de vivre sur le même pied d’égalité que les membres qui la constituent. | Accueillez-vous et incluez-vous les personnes vivant avec une maladie cognitive dans la communauté, ou les aliénez-vous et les mettez sur la touche? Comment votre pratique change-t-elle en présence d’une personne ayant un handicap visible (une personne en fauteuil roulant, par exemple) et en présence d’une personne qui n’en n’a pas? |
Avez le droit de poursuivre vos intérêts et de vous adonner à vos loisirs. | Donnez-vous du temps aux personnes vivant avec une maladie cognitive de poursuivre leurs intérêts? Vérifiez-vous s’il existe des obstacles qui les en empêchent? Proposez-vous d’autres formes d’activités pour leur plaisir? |
Avez le droit de participer librement à des activités enrichissantes et de vous adonner aux loisirs que vous choisissez. | Faites-vous participer tout le monde aux activités qui se déroulent sur votre lieu de travail ou dans votre communauté? Tenez-vous quelqu’un à l’écart? Si c’est le cas, que pensez-vous que la personne soit en mesure de comprendre ou en mesure de faire? Lui avez-vous demandé? |
Avez un droit à la vie privée et avez le droit que cette dernière soit respectée par autrui. | Pensez aux manières dont vous faites les choses dans votre établissement ou organisme de soins de longue durée. Y a-t-il une meilleure manière de procéder pour mieux respecter la vie privée? Demandez-vous la permission à la personne vivant avec une maladie cognitive? Êtes-vous conscient de leur environnement et des autres personnes qui s’y trouvent? |
Avez le droit, comme n’importe qui, de jouir de services de santé et de réadaptation de la meilleure qualité possible et de vivre en jouissant de la plus haute qualité de vie possible. | Les personnes que vous soignez reçoivent-elles le traitement approprié? Participent-elles au processus de prise de décision concernant leur santé personnelle? Pouvez-vous identifier et distinguer les symptômes des maladies cognitives et ceux d’autres maladies? |
Avez le droit de jouir de tous les droits indiqués ci-dessus sans avoir à affronter le jugement d’autrui, les suppositions et la stigmatisation. | Aidez-vous à atténuer la stigmatisation, ou ne faites-vous que suivre la norme? |
La connaissance et la compréhension des droits humains sont essentielles pour les personnes vivant avec une maladie cognitive. Après tout, elles ont un sens pour chaque aspect de notre vie : social, loisirs, santé et bien d’autres. En reconnaissant et en éliminant les obstacles qui peuplent nos expériences quotidiennes, les personnes vivant avec une maladie cognitive, comme la mère de Phyllis et Phyllis elle-même, peuvent participer pleinement et ouvertement à la société sans être discriminées.
Que vous soyez une personne vivant avec une maladie cognitive ou un professionnel des soins de santé, respecter ces sept articles constitue un excellent point de départ pour comprendre les maladies cognitives sous le prisme des droits humains. Dans la troisième partie : Définir des droits humains pour les Canadiens atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une autre maladie cognitive, nous conclurons notre série en nous penchant sur une charte potentielle qui permettra de protéger et respecter les droits des personnes vivant avec une maladie cognitive.